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[Critique] Ultraviolette ou l’ensorceleuse des cimes (l’Alsace)

vendredi 24 février 2023, par La cavale

Le cinéaste alsacien Robin Hunzinger présentera pour la première fois en Alsace son documentaire « Ultraviolette et le gang des cracheuses de sang », coécrit avec sa mère, la romancière Claudie Hunzinger, le 7 mars à Colmar. Une histoire d’amour racontée par Marcelle, 16 ans, qui, dans les années 1920, a follement aimé la grand-mère du réalisateur, Emma, 17 ans.

Véronique BERKANI - 24 févr. 2023

Ultraviolette ou l’ensorceleuse des cimes, le documentaire de Robin et Claudie Hunzinger (L’Alsace)

Ce film est né d’une intuition. » Le cinéaste Robin Hunzinger connaissait l’existence de Marcelle, le premier amour d’Emma, sa grand-mère maternel- le. La volumineuse correspondance que Marcelle avait adressée à Emma était conservée dans une armoire de la maison familiale. Des centaines de lettres au contenu brûlant, expression exaltée d’un premier amour, fou, adolescent, dans
les années 1920 de l’entre-deux- guerres.

Lorsqu’il y a quelques années, il découvre la photographie d’une jeune fille brune de 16 ans à l’air frondeur, il a l’intuition qu’il s’agit de Marcelle. « À partir de cette image, je me suis lancé dans le film com- me dans une enquête, avec l’intense curiosité de retrouver Marcelle. » Des retrouvailles rendues possibles par la magie du cinéma : « Je crois vraiment en la permanence irra- diante des images. »

À 16 ans, elle écrivait comme une romancière

D’une contrainte très forte – celle de réaliser un film sans image – naît une œuvre puissante et éminem- ment originale. Robin Hunzinger se plonge dans des fonds d’archives de films amateurs captés dans les Années folles. « Pour reconstituer Marcelle, faire resurgir son fantôme, j’ai assemblé des images de jeunes filles qui lui ressemblaient. » Le réalisateur puise également dans les pépites de l’association parisienne Light Cone, en charge de la distribution et de la sauvegarde du cinéma expérimental, gardienne des temples de Germaine Dulac ou de Maya Deren. La fiction de cette époque est également convoquée, avec l’utilisation d’extraits du long- métrage allemand Jeunes filles en uniforme, de Leontine Sagan (1931), ou d’Extase, film tchécoslovaque de Gustav Machaty (1933). « Je me suis servi des sources amateures pour illustrer la vie quotidienne de l’époque. Le cinéma expérimental m’a permis de figurer l’état intérieur de Marcelle. »

Emma et Marcelle se rencontrent à l’École normale de Dijon en 1923. Deux ans plus tard, Marcelle, tombée malade, quitte Emma pour entrer au sanatorium, d’abord dans la Creuse, puis à Briançon, dans les Hautes-Alpes. Le film démarre au moment de leur séparation, lorsque le grand amour se mue en absolu, la passion se nourrissant d’absence. « Marcelle était une ensorceleuse », raconte l’écrivaine Claudie Hunzinger, mère de Robin et fille d’Emma, qui a participé à l’écriture du film et prête sa voix à la narratrice. Elle a déjà consacré un livre à Marcelle, L’Incandescente (éd. Grasset), en 2016. « J’ai tout de suite trouvé son écriture magnifique, sophistiquée, étincelante". Une écriture qui concorde avec la personnalité de l’adolescente, qualifiée par Claudie d’« insolente, hardie, indépendante, séductrice ». « Marcelle avait réussi à ensorceler ma mère, comme j’aurais moi-même aimé y parvenir. Elle l’appelait ‘‘ ma petite joueuse de flûte’’. »

Au-delà du récit amoureux, le film explore la société des tuberculeux,
enfermés dans des sanatoriums, à l’écart de la société. « C’était une bulle, une serre enfiévrée qui favorisait des états euphoriques et l’expression des sentiments », résume Claudie. « Les sanas étaient de hauts lieux des amours absolues et multiples, un grand thème littéraire de l’époque, présent notamment dans La Montagne magique, de Thomas Mann [1924], ou dans l’œuvre de Roland Barthes. » Face à la mort et à la tragédie, Marcelle ne perdra rien de son audace, au contraire.

Ultraviolette et le gang des cracheuses de sang a été récompensé au Festival international du film documentaire d’Amsterdam, en 2021, dans la catégorie « meilleur film d’archives », une distinction qui lui a permis de voyager dans de nombreux festivals à travers le monde.

Véronique BERKANI

Y ALLER Ultraviolette et le gang des cracheuses de sang, le mardi
7 mars au CGR de Colmar à 20 h, en présence de Robin et de Claudie Hunzinger. En partenariat
avec l’association Lézard. Tarifs : 6,50 €, carte Lézard 5 €.