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La crise du cinéma d’auteur français

juin 2007, par Robin Hunzinger

Déclaration de Pascale Ferran lors de la cérémonie des Césars 2007

Nous sommes nombreux dans cette salle àêtre comédien, technicien ou réalisateur de cinéma.
C’est l’alliance de nos forces, de nos talents et de nos singularités qui fabrique chaque film que produit le cinéma français.
Par ailleurs, nous avons un statut commun : nous sommes intermittents du spectacle.
Certains d’entre nous sont indemnisés, d’autres non ; soit parce qu’ils n’ont pas travaillé suffisamment d’heures, soit, àl’inverse, parce que leurs salaires sont trop élevés pour être indemnisés dans les périodes non-travaillées.
C’est un statut unique au monde. Pendant longtemps, il était remarquable parce qu’il réussissait, tout en prenant en compte la spécificité de nos métiers, àatténuer un peu, un tout petit peu, la très grande disparité de revenus dans les milieux artistiques. C’était alors un système mutualisé. Ils produisaient une forme très concrète de solidarité entre les différents acteurs de la chaîne de fabrication d’un film, et aussi entre les générations.
Depuis des années, le MEDEF s’acharne àmettre àmal ce statut, en s’attaquant par tous les moyens possibles àla philosophie qui a présidé àsa fondation.
Aujourd’hui, il y est presque arrivé. De réformes en nouveau protocole, il est arrivé àtransformer un système mutualisé en système capitalisé. Et cela change tout. Cela veut dire, par exemple, que le montant des indemnités n’est plus calculé sur la base de la fonction de son bénéficiaire mais exclusivement sur le montant de son salaire. Et plus ce salaire est haut, plus haut sera le montant de ses indemnités.
Et on en arrive àune absurdité complète du système où, sous couvert de résorber un déficit, on exclut les plus pauvres pour mieux indemniser les plus riches.

Or, au même moment exactement, àun autre bout de la chaîne de fabrication des films, d’autres causes produisent les mêmes effets. Je veux parler du système de financement des films qui aboutit d’un côté àdes films de plus en plus riches et de l’autre àdes films extrêmement pauvres.
Cette fracture est récente dans l’histoire du cinéma français.
Jusqu’àil n’y a pas si longtemps, ce qu’on appelait les films du milieu - justement parce qu’ils n’étaient ni très riches ni très pauvres - étaient même une sorte de marque de fabrique de ce que le cinéma français produisait de meilleur.
Leurs auteurs - de Renoir àFrançois Truffaut, de Jacques Becker àAlain Resnais - avaient la plus haute opinion des spectateurs àqui ils s’adressaient et la plus grande ambition pour l’art cinématographique. Ils avaient aussi, bon an mal an, les moyens financiers de leurs ambitions.
Or, ce sont ces films-làque le système de financement actuel, et en premier lieu les chaînes de télévision, s’emploient très méthodiquement àfaire disparaître.

En assimilant les films àvocation artistique aux films pauvres et les films de divertissement aux films riches, en cloisonnant les deux catégories, en rendant quasi impossible pour un cinéaste d’aujourd’hui le passage d’une catégorie àune autre, le système actuel trahit l’héritage des plus grands cinéastes français. Et leur volonté acharnée de ne jamais dissocier création cinématographique, point de vue personnel et adresse au plus grand nombre. Ce faisant, il défait, maille après maille, le goà»t des spectateurs ; alors même que, pendant des décennies, le public français était considéré comme le plus curieux, le plus exigeant, le plus cinéphile du monde.

Ici comme ailleurs, la violence économique commence par tirer vers le bas le goà»t du public puis cherche ànous opposer. Elle n’est pas loin d’y arriver.
Les deux systèmes de solidarité - entre les films eux-mêmes et entre ceux qui les font - ces deux systèmes qui faisaient tenir ensemble le cinéma français sont au bord de la rupture.

Alors peut-être est-il temps de nous réveiller.
Peut-être est-il temps de nous dire que notre amour individuel pour le cinéma, aussi puissant soit-il, n’y suffira pas.
Peut-être est-il temps de se battre, très méthodiquement nous aussi, pour refonder des systèmes de solidarité mis àmal et restaurer les conditions de production et de distribution de films qui, tout en donnant àvoir la complexité du monde, allient ambition artistique et plaisir du spectacle.

Nous n’y arriverons pas, bien sà»r, sans une forme de volonté politique d’où qu’elle vienne. Or, sur de tels sujets, force nous est de constater que celle-ci est désespérément muette.

Mais rassurons-nous. Il reste 55 jours aux candidats àl’élection présidentielle pour oser prononcer le mot « culture ».

Pascale Ferran