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"Les Yeux grand fermés", documentaire radiophonique, ACR, France culture

samedi 27 octobre 2012, par Jean-Philippe Chalté, Robin Hunzinger

"Les Yeux grand fermés", pièce documentaire radiophonique

Un documentaire radiophonique de Robin Hunzinger (auteur producteur)

et Jean-Philippe Chalte (son et musique originale).

Réalisation : Vanessa Najdar.

Une piéce de l’aAtelier de création radiophonique de France Culture (Franck Smith et Philippe Langlois)

Note d’intention de l’auteur

En Palestine, dans la Cisjordanie, ce qui frappe d’emblée, c’est la violence exercée contre la ville, la terre, le territoire. A perte de vue, ce ne sont que chantiers à ciel ouvert, collines éventrées, déforestations. Paysages en lambeaux. rendus illisibles par une violence qui semble concertée. Non pas seulement la violence des bombes et de la guerre, non pas les destructions infligées par les incursions des chars, mais une violence active, industrieuse. Cadastrale. Des murs de huit mètres traversent les collines, coupent des villes. Des barbelés encerclent des champs. Presque chaque ville est coupée par des checks points.

Voyage aux pays des yeux clos est un voyage sonore dans trois villes palestiniennes en train de mourir de différentes façon :

Tout d’abord Qalqilya. D’après la municipalité de Qalqilya (capitale du district qui porte ce nom, connu comme « le grenier de la Cisjordanie »), la construction du mur de sécurité qui entoure la ville située près de la ligne verte (frontière de 1967) a signifié la confiscation d’un tiers des terres cultivables de la ville et de ses réserves d’eau. Le taux de chômage atteint 65%. Beaucoup de ces habitants sont incapables de payer leurs impôts, et les dettes de la municipalité avec la compagnie (israélienne) de distribution d’électricité ont suscité des menaces de coupure de ce service. On calcule que 6 000 résidents ont abandonné la ville pendant les derniers mois pour chercher du travail ailleurs

Ensuite la ville de Hebron. La ville d’Hébron est militarisée partiellement par une garnison israélienne qui veille sur quelque 400 membres de plusieurs colonies israéliennes , situées en pleine vieille ville ou en bordure de la vieille ville. La situation est si scandaleuse que c’est le seul endroit où des équipes d’observateurs internationaux (scandinaves, turcs et italiens) sans pouvoir d’interposition mais avec un devoir de rapport, jouent un certain rôle modérateur. Les appelés israéliens se portent parfois en interposition et manifestent ouvertement leur lassitude d’avoir à protéger les « colons » dans ces conditions.

Enfin la ville de Naplouse. En effet à Naplouse, la situation est difficile à imaginer. Les habitants se lèvent le matin sans savoir ce que l’armée israélienne a fait subir à leur ville pendant la nuit ni ce qu’elle leur fera subir au cours de la journée. La plupart d’entre eux ont perdu depuis longtemps leur source de revenus. On peut bien sûr déclarer qu’ils ont amené tout cela sur eux-mêmes à cause des attentats dont les auteurs sont partis de leur ville, mais cette affirmation ne peut justifier les meurtres et les exactions. Ainsi, la ville de Naplouse sombre dans l’agonie. Il ne s’agit pas d’un village se mourant derrière le béton et les levées de terre qui l’emprisonnent, mais d’une métropole chargée d’histoire ancienne, hier encore bouillonnante et grouillante de monde, avec sa vie commerçante et industrielle débordante, son université importante, ses hôpitaux, son paysage urbain plein de charme et ses anciens ornements souligne le journaliste israélien Gidéon Lévy. Quelque 200.000 personnes sont emprisonnées dans leur ville. Les barrages de Beit Iba, Azmout et Huwwara qui assiègent la ville de tous côtés, sont les plus sévères parmi les barrages de Cisjordanie. Même des femmes sur le point d’accoucher et des vieillards rencontrent les pires difficultés pour les franchir, et la majorité des habitants n’essaient même plus.

C’est comme si l’armée israélienne ne savait entendre, qu’elle avait perdu ses oreilles. C’est comme si les visages muets des martyrs collés sur tous les murs des villes étaient les ultimes témoins d’une catastrophe, incapables de raconter ce qui leur est arrivé. C’est comme si la parole n’était plus possible.

Robin Hunzinger

Du son : les musiques Acousmatiques & Séquences Electroniques par le compositeur

Oscillant toujours entre magnifique et terrifiant.
Même le matériel, l’antagonisme est présent (Schoeps & K6).
Toujours cet écho, ce Delay naturel, qui rend tout son irréel (Naplouse).
Les sons électroniques : les caméras de surveillance, les fusils, les chars, les senseurs
électroniques, les barbelés électrifiés (et coupants), les check points, les contrôles, les bombardements, les tirs, les bulldozers, les maisons détruites, l’attente, le son d’une balle qui vous passe à 4 mètres, le dynamitage d’un château à 400 mètres ; c’est la mort.
L’écho du son, comme pour dépasser l’enfermement (des murs de tous ce qui obstrue) mais qui passe quand même, comme l’espoir de ces gens que j’ai rencontré.
L’écho, comme un pied de nez à la tentative de cloisonnement en cours.
L’espoir, comme les chansons de notre chauffeur dans son taxi jaune.
L’écho qui se répercute contre, mais qui se propage quand même au-delà.
Les séquences acousmatiques : le son réel, seulement, mais retraité... Comme pour « filtrer »
l’intolérable, amenuiser la violence contenue en lui, rendre plus « flou » sa causalité... Mais sans jamais réellement y parvenir. (La cause est là, indubitablement vu le dispositif de composition ; cette violence toujours).
4 mois à tourner autour de ces prises de son ; en avoir peur ; impossibilité de les dépasser (les transcender).

Jean-Philippe Chalte

Dans la presse

Les inrockuptibles, 22 septembre 2004, Pascal Mouneyres :

La Palestine, une terre en voie d’abstraction. Frontières mobiles et déplacées, villes qu’on ferme et rouvre, espace décomposé par les enceintes. Les Yeux grand fermés dessine la géographie sonore d’un territoire à qui l’on interdit toute définition, devenu incohérent à force d’être manipulé. Les témoignages des habitants de Hébron ou de Naplouse expriment cette évidence : c’est au sentiment d’appartenance à une réalité stable que l’armée israélienne s’attaque. Carnet de voyage mais aussi fresque bruitiste, hantée de sirènes et d’échos diffractés, le documentaire de Robin Hunzinger restitue l’inquiétante avancée de délocalisation interne. "on prend le chemin du meurtre et du
contre-meurtre", prévient, en ouverture, la philosophe Anne brunswic.

L’humanité, 24 septembre 2004, Michel Delaporte : "Voyage au coeur d’un peuple renié"

Surtout ne plus rien entendre, mettre en sommeil toutes les sensations. Ne plus éprouver la douleur, la peur, la violence. Ne plus écouter les tirs et les cris incessants. Comment vivre et survivre en Palestine ? Robin Hunzinger, auteur du documentaire les Yeux grand fermés, diffusé sur France-Culture ce dimanche à 22 h 40 s’est rendu dans trois villes palestiniennes : Qalqilya, Hébron et Naplouse. Il y recueille des témoignages qui exhalent une tristesse sans fond. Les voix semblent perdues au milieu d’un isolement imposé par l’armée israélienne.
Les hommes sont des fantômes, les lieux sont vides. « La mort, c’est essayer d’ignorer l’existence de l’autre, la mort, c’est celle des valeurs, celle de l’interdiction de circuler. C’est imposer une machine de guerre aux plus pacifistes. La mort, c’est le silence, c’est quand on empêche même le courant d’air de passer », explique un Palestinien.
Anne Brunswic, auteur de Bienvenue en Palestine, chroniques d’une saison à Ramallah, est une des guides du réalisateur. Elle, française juive, condamne la politique israélienne qui « met dans des réserves le peuple palestinien ». Et d’ajouter : « Je suis inquiète de voir que la majorité des juifs dans le monde cautionne cette politique raciste. On ne prend pas le chemin de la justice, ce qui se passe ici est une barbarie totale. » Arrivé à Qalqilya, après avoir passé quatre heures de barrages, Robin Hunzinger ressent l’oppression quotidienne vécue par les habitants. La ville est une prison entourée d’un mur de neuf mètres de haut et de barbelés infranchissables. « Ils nous ont détruits », dit un homme, avant d’ajouter avec un brin d’espoir : « j’espère qu’un jour le mur sera détruit ». Ce documentaire radiophonique pénètre dans un monde à part, invitant l’auditeur à fermer les yeux pour ouvrir grand ses oreilles et sa conscience.


Diffusion : Atelier de creation radiophonique, Les nuits : France Culture, 2004

Festival Traces de vies, Clermont-Ferrand, novembre 2004